Entretien avec René-Paul
- Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Quel est ton lieu de résidence, ton lieu de travail… ?
Je suis urbaniste, enseignant à l’Université. Je travaille en centre-ville de Brest et j’habite en première couronne périurbaine. Par mon métier, je voyage beaucoup en France et à l’étranger (Afrique, Amérique latine).
- En tant que citoyen, professionnel, acteur, comment contribues-tu, aujourd’hui, à la construction de la ville de demain ?
En tant que professionnel, je tente de montrer à mes étudiants que la ville est complexe et que les acteurs privés et publics sont multiples. A notre époque où nous cherchons des solutions miracles qui se résument souvent à des discours de quelques secondes, il est important de penser la complexité. Le « Y a qu’à » ne tient pas la route longtemps.
En tant que citoyen, je suis impuissant, notamment parce qu’en tant qu’électeur, je participe à l’élection du conseil municipal mais je n’ai pas de prise sur celle du « maire » de l’agglomération. Quant à la démocratie participative, elle ne fonctionne pas ou si peu (quelques avancées à Grenoble ou ailleurs ? mais timides).
- Quelle est ta vision de la ville de demain ?
La ville d’hier et celle d’aujourd’hui sont trop autocentrées sur elles-mêmes. Quand on parle du Paris d’Anne Hidalgo qui réduit la part de la voiture, on oublie de préciser que les mobilités liées à ce mode de transport explosent en banlieue parisienne qui représente 80 % de la population de l’agglomération. Quand on parle de la politique de Nathalie Appéré à Rennes, on oublie de préciser qu’elle n’administre que la moitié de la population de Rennes Métropole et 29 % de l’aire urbaine.
Il est donc temps de s’occuper des habitants de la périphérie et du périurbain (jusqu’à 40 à 50 km pour une agglomération comme Rennes).
Dans les grandes métropoles françaises, la focale a été trop longtemps mise sur le centre-ville pour des raisons de concentrations d’activités, de prestige, pour des raisons de « poids » politique de certaines populations qui y résident.
Dans les villes moyennes, la ville-centre a concentré l’action des acteurs publics (tramway, téléphérique, réhabilitation du logement) mais actuellement, les dynamiques sont à la périphérie et dans le périurbain. Beaucoup de communes-centre d’agglomérations perdent de la population (moins 15 000 habitants pour Brest en 20 ans). Le commerce est en recul dans l’espace central, au profit des grandes et moyennes surfaces périphériques. Les bureaux fuient la ville (pour le port de commerce, l’aéroport et de nombreux autres sites extérieurs, par exemple, dans la cité du Ponant).
Les responsables de cette nouvelle configuration sont nombreux : les consommateurs qui veulent gagner du temps et économiser de l’énergie et qui donc se précipitent dans les hypermarchés ; les acteurs privés qui ont parfois anticipé le mouvement ; les acteurs publics (qui à Brest, par exemple, ont attiré certaines locomotives comme Ikea en prolongeant le tramway vers la sortie sud).
La ville de demain sera (elle l’est déjà) étalée, éparpillée pour le logement. Elle sera organisée en archipel structuré sur les rocades (bien plus visible à Nantes, Bordeaux, Toulouse…). Pour l’instant, ces nouveaux centres de l’archipel sont monofonctionnels : pôles commerciaux, pôles de bureaux, activités isolées comme les cabinets de médecins.
Les enjeux pour demain tourneront autour de la transformation de ces pôles en de véritables centralités de vie avec de la mixité fonctionnelle. Pour l’instant, ces pôles ne sont accessibles qu’aux heures ouvrables, sous contrôle des acteurs privés (tentez de faire du skate sur le parking d’Ikea le dimanche et vous ne tiendrez pas plus de dix minutes).
L’un des enjeux sera de transformer ces espaces privés en espaces publics. Et pour l’instant, on ne sait pas faire ou on ne veut pas faire : les acteurs institutionnels ne voulant pas voir cette nouvelle organisation de la ville ; les acteurs privés trouvant que cela fonctionne très bien comme cela.
- Parmi les thématiques du forum, qu’elles sont celles qui t’interpellent ? Pourquoi ? Quels sont tes questionnements, autour de ces thématiques ?
Les mobilités de demain ? / Dans la ville centre, les mobilités de demain seront en grande partie limitées aux mobilités actives (vélos, patinettes, marche) et aux transports collectifs dont le tramway et des infrastructures moins coûteuses comme les bus en site propre. Les quartiers centraux des villes moyennes ayant perdu leur attractivité deviendront des quartiers presque comme les autres avec de vastes plateaux piétonniers pour les résidents et les touristes. En périphérie et en périurbain, l’éclatement de la ville se poursuivant, ces espaces resteront le domaine de la voiture. Les transports en commun pourront être développés en périphérie et dans les premières communes périurbaines mais ils ne pourront pas « traiter » l’ensemble des mobilités notamment de périphérie à périphérie.
Quant au périurbain, chaque ménage a et aura plusieurs voitures. Le soir, ces voitures seront connectées aux panneaux solaires de la maison, prêtes le lendemain à de nouvelles aventures.
Le seul problème à ce schéma, c’est la dizaine d’années qui nous sépare des avancées technologiques au niveau des batteries automobiles. D’ici là, avec l’organisation actuelle de la ville, les mobilités automobiles dégageront des milliers de tonnes de CO2 et autres particules.
Dynamiques commerciales et de proximité ? / L’espace commercial du centre-ville jusqu’aux années 1970 était le centre commerçant par excellence. Parallèlement à l’émergence de la société de consommation, l’équipement des ménages en réfrigérateur, l’achat d’une ou plusieurs voitures et le salariat féminin ont tué le commerce de quartier. Les nostalgiques (plutôt hommes) regrettent le temps où la « ménagère » (parfois dénommée la « maîtresse de maison ») faisait ses courses tous les jours pour sa famille. Les temps ont, semble-t-il, changé. Les achats se font au gré des pérégrinations des ménages (les achats ne sont plus exclusivement féminins. 40 % des achats alimentaire de la semaine sont le fait des hommes qui, horreur, ont perdu 3 minutes de leurs temps libre en 15 ans pour cette activité).
Le centre commerçant de la cité (calculé en temps de trajet et en dégagement de CO2) n’est plus le centre-ville mais certains grands pôles commerciaux de la périphérie. Avec le regroupement des achats alimentaires et de plus en plus non alimentaires dans les hypermarchés, ils deviennent, d’une certaine façon les commerces de proximité.
L’objectif dans l’avenir sera de créer du lien social dans ces zones, hors de ces grandes et moyennes surfaces. Ainsi, il faudra multiplier les AMAP, les marchés bio en périphérie et non obliger les consommateurs à de lents et longs déplacements en centre-ville.
Les BIOCOOP l’ont bien compris qui ont ouvert cinquante-deux magasins en 2016, dont les deux tiers en périphérie.