Entretien avec Claire
Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Ton lieu de résidence, de travail… ?
J’habite Gouesnou, et je vis à l’échelle de la métropole. Actuellement en disponibilité, je prends le temps d’explorer, et de m’ancrer dans ce territoire que j’avais très peu investi ces dernières années.
- Comment tu contribues, déjà aujourd’hui, à la construction de la ville de demain ?
C’est à travers le prisme de l’imaginaire, que la question de « la ville de demain » a commencé à prendre forme pour moi. Une rencontre inattendue, en 2014, avec l’écologie politique, dans la cadre d’un master de littérature de jeunesse au Mans, et d’un programme de recherche initié par la région Pays de Loire, sur les liens entre écologie et fictions de jeunesse. Une immersion dans des villes très sombres et angoissantes, lorsque des mondes utopiques tournent soudain au cauchemar, et que leurs jeunes héros et héroïnes sont face à des choix cruciaux ; ou encore dans des villes et des jardins aux formes plus poétiques, voire humoristiques, à travers albums ou dessins d’animation…
Pour le moment, ma contribution, c’est de prendre le temps de me rendre « sensible » aux contours de cette ville-métropole, que j’habite. Avec son « centre », qui est Gouesnou : là où se fait actuellement l’ancrage, via un jardin partagé, une chorale, un club de marche. Et sa « périphérie », Brest, qui est « mon » creuset, pour la pensée, la vision collective, la formation intellectuelle, l’apport culturel… C’est là que se joue l’ouverture, et c’est là que se tissent les liens avec d’autres acteurs du Pays de Brest, à travers un engagement à Vert le Jardin, et un compagnonnage avec le Collectif pour une transition citoyenne… Cela peut paraître étrange, de se contenter de se rendre « sensible, soi-même » à ce qui se vit et à ce qui interagit, au sein de son propre territoire. Mais j’avais tellement perdu de vue cette dimension, toutes ces dernières années, avec mes vingt mille kilomètres par an pour mon activité professionnelle. Je n’avais plus aucune conscience de mon appartenance à cette « fragile enveloppe que nous habitons », pour reprendre les termes de Bruno Latour, philosophe et sociologue, qui décrit très bien les enjeux de ce processus de l’ancrage, dans un territoire, pour la préservation de notre propre avenir, en tant qu’humains.
Maintenant, ce qui se dessine, c’est un engagement plus clair autour d’une priorité, celle de l’impact des changements climatiques sur nos vies, et de la transition énergétique que cela appelle. Depuis la rentrée dernière, je partage l’aventure du petit réseau des « citoyens relais du climat » en train de se constituer, qui s’étoffera au fil des prochaines sessions de formation animées par Ener’gence, l’agence de l’énergie de la métropole brestoise. Une action initiée dans le cadre du « plan climat énergie territorial 2012-2017 » qui s’achève bientôt, et ouvrira sur un autre plan climat, à l’élaboration duquel les habitants vont être associés dans les mois qui viennent. Un réseau au drôle de nom – car peut-on être simplement « relais », quand on se veut « citoyen » ? – mais qui, au fil des mois, commence à se structurer, à inventer ses propres modes d’action, parce qu’il a vraiment cette « liberté-là » dans la manière dont il a été défini, et dans la manière dont il est accompagné par Ener’gence. En ce qui me concerne, si « relais » j’ai envie d’être, au sein de ce réseau, c’est d’abord relais des habitants que je rencontre au fil des actions que nous menons : la richesse de leurs initiatives, leur inventivité au quotidien, leurs challenges aussi, pour déjouer les petits pièges des habitudes installées, surmonter les obstacles, entreprendre…
- Quelle est ta vision de la ville de demain ?
Pour moi, la ville de demain est une ville « aux mille visages », effervescente, inventive… Ce n’est pas une ville qui est en rupture avec ce que nous sommes en train de vivre actuellement. C’est juste une ville qui aura trouvé les moyens d’accélérer les processus et les dynamiques qui sont déjà à l’œuvre, là, aujourd’hui. En arrêtant de faire comme si les habitants étaient des « cibles à convaincre ». Mais en prenant appui sur ce qu’ils font déjà, et en les épaulant, dans leurs initiatives.
C’est une ville qui aura « visages » d’hommes et de femmes, de jeunes et de moins jeunes. Une ville, aussi, au sein de laquelle coexisteront nécessairement des modes de vie très différents.
C’est une ville qui, d’ici treize ans, devra avoir contribué à « réduire nos émissions de gaz à effet de serre de de 40% par rapport à 1990 ». Et qui, d’ici un peu plus de trente ans, devra avoir contribué à les réduire « de 75% par rapport à 1990 ». Ce n’est pas de la science-fiction, mais simplement le cadre qui est nous est donné, en tant qu’acteurs des communautés de communes de moins de vingt-mille habitants, pour élaborer nos « plans climat », à l’issue des accords de Paris de 2015. Une ville qui, pour relever le défi que constitue cette course de vitesse, aura noué des alliances avec d’autres villes, et avec son territoire proche. Une ville qui saura s’inspirer de l’inventivité des autres territoires, pour permettre à chacun d’avancer à son propre rythme, et qui saura reconnaître l’apport décisif de chacun, dans cette aventure collective.
- Parmi les thématiques ci-dessous, qu’elles sont celles qui t’interpellent ? Pourquoi ? Quels sont tes questionnements, autour de ces thématiques ?
Les trois thématiques qui retiennent mon attention sont liées aux questions qui sont nées, depuis quelques mois, dans le cadre de mon ancrage dans le petit réseau des citoyens-relais du climat, et de tout ce que j’ai commencé à découvrir autour de ces problématiques.
« Petits et grands projets dans la ville ? » / Alors que certaines villes mettent en avant les réussites de « leurs » grands projets, d’autres villes, comme Nantes, par exemple, sont en train de tester un mode de communication différent, qui cherche à mettre en valeur le « pouvoir de faire » de ses habitants. On en trouve un exemple significatif, en ce moment, avec le « grand débat sur la transition énergétique », qui se veut aussi être un débat du « faire », s’appuyant sur six petites communautés dont l’action et les challenges sont mis en scène, via le blog « blablawatt », intégré au site du débat. Deux stratégies différentes, dont j’aimerais mieux comprendre les fondements et les résultats, à travers notamment les apports des sciences humaines.
– Quels sont les apports de la recherche qui nous permettraient de penser que la valorisation des petits projets dont sont porteurs les habitants, constitue un vecteur efficace, pour soutenir et/ou susciter la mobilisation, notamment dans le domaine de la transition énergétique (qui, au démarrage, pour chacun, est très coûteux en énergie, tant les gestes qui sont à acquérir ou à inventer vont à contre-courant des habitudes bien installées) ? Et en direction de quel type de population est-ce efficace, ou non ? Est-ce que ce type de pilotage de l’action publique comporte un risque de clivage, entre des populations, celles qui feraient (et que l’on met sous les feux des projecteurs), et celles qui se sentiraient en retrait (simplement, peut-être, parce que moins visibles) ?
– Est-ce que ce travail de valorisation des petits projets, lorsqu’il n’est porté que par la société civile (via ses associations et ses collectifs), impulse le même type de dynamique, avec les mêmes effets induits, positifs et négatifs ?
« Le paysage, dans la ville ? » / Les paysages vont vraisemblablement être impactés par la transition énergétique, et ils le sont déjà : éoliennes, panneaux solaires sur les toits, isolation par l’extérieur qui modifie l’esthétique architecturale, densification de l’habitat… Il y a des villes qui semblent avoir fait le pari qu’il est possible de mettre cette problématique au grand jour : Nantes, par exemple, a intégré cette thématique dans les quatre questions du grand débat, et a organisé par ailleurs des « balades énergétiques », pour permettre aux habitants de se familiariser avec ces nouveaux paysages, d’en percevoir les enjeux, d’en rencontrer les acteurs.
– Que sait-on de l’efficacité de ce type de pratiques, notamment pour rendre perceptible ce qui, dans une ville, est le moins visible : l’énergie qui y circule et qui s’y consomme ? Est-ce qu’il y a des recherches, qui nous permettraient de comprendre ce qui pourrait être opérant, ou pas, dans ce type de choix, centré sur le déchiffrage du réel qui s’offre au regard ?
« Habiter et vivre dans mon quartier et dans ma ville ? » / Il y a un tout un courant de recherche qui se penche depuis quelques années sur « l’imaginaire géographique », sur « la poétique de l’habiter », en tant que processus qui « structure le regard comme l’usage que nous faisons du territoire », Avec, chez certains chercheurs, l’hypothèse qu’il serait possible de se servir de cette faculté qu’est l’imaginaire, pour orienter le futur, inventer le monde de demain, et échapper ainsi à la « catastrophe annoncée ». C’est ainsi, par exemple, qu’une chaire de recherche et de formation consacrée aux imaginaires a été créée en 2012 par Telecom Paris-Tech et Rennes 2.
– En quoi ces recherches peuvent-elles contribuer à éclairer notre propre action, à enrichir et faire confiance en notre propre imaginaire, à nous mettre à l’écoute des imaginaires des autres ?
– En quoi l’art et l’esthétique sont-ils des supports privilégiés ? A l’usage, cet imaginaire du lieu, du territoire, comporte-t-il un risque d’enfermement sur soi ? Peut-il être vecteur d’une appartenance et d’une sensibilité plus larges, et d’une attention portée à l’impact de nos actions, « au-delà de nous », dans l’espace et dans le temps ?
Par ailleurs, quand la ville est une métropole (ou, dit autrement, quand elle est une « ville-archipel » composée de plusieurs villes qui offrent des services différents et complémentaires), c’est quoi le quartier, c’est quoi le centre, et c’est quoi la périphérie ? Comment accompagner les « bouleversements » d’échelle, que sont amenés à vivre les habitants ? Et à l’heure de la transition énergétique, quand le mix bus + tram allonge considérablement les temps de transport d’un point à un autre (par rapport à la voiture), comment aider les habitants à faire naître des alternatives pour permettre à chacun de se déplacer, malgré tout, sur l’ensemble du territoire ?
Enfin, au-delà des questions d’échelle, ce sont les termes « habiter/habitant » qui m’intéressent, et la façon dont ils sont utilisés de façon parfois indistincte avec celui de « citoyen ».
– En quoi ces deux termes, d’habitant et de citoyen, sont-ils différents, dans leur portée ? Qu’est-ce qui fait qu’on les utilise parfois indistinctement, sans toujours bien en évaluer les exigences, et les conséquences ? Quel serait l’intérêt, et les risques, à être plus précis ?
– Qu’est-ce qui fait que, dans certaines villes, une majorité d’habitants franchit le pas, d’élire des équipes municipales qui portent un projet fondé sur une démocratie participative ? Souvent piloté par des femmes ? A quels risques ces équipes s’exposent-elles ? En quoi les savoir-faire, en termes de gouvernance, sont-ils fondamentalement différents ou pas ? Et – quand la démocratie participative n’est pas au rendez-vous – quels sont, pour les citoyens, les associations, les modes de relation les plus efficaces, pour nouer, malgré tout, des partenariats avec les collectivités, de manière à avancer ensemble, autour d’enjeux comme celui de la transition énergétique ?